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PIERRE RIVE extrait livre Sel
Livre ( poésie et petites histoires)
Un jour,
Le poisson-scie
Et le requin-marteau
Ont construit une maison
Tout au fond de la mer.
L’homme qui vivait dedans
Il faut le dire
Etait marteau.
Et il sciait des algues et des coraux
En grande quantité.
Et
Quand il eut fini d’amasser
Toute cette végétation dans son pré
Où broutaient poissons et crustacés
Il fit un grand feu.
Les flammes montèrent si haut, si haut
Que les nuages pouvaient apercevoir
Un grand cercle rouge à la surface
De l’étendue salée.
Mais le feu a engendré
Une éruption volcanique
Et tous les habitants marins
Ont fui la région.
Alors
Une île a poussé
Au milieu de l’océan.
Une île avec des arbres et du sable blanc
Et sur le sable
Une femme nue
Au visage transparent
Portait autour de la ceinture
Des poulpes et une plume de goéland.
L’homme qui avait allumé le feu
Se mit à escalader la montagne
Dont le pied se trouvait au fond de l’océan.
Après une lente ascension
Avec ses semelles de plomb
Il arriva à l’air libre
Où criaient les oiseaux palmipèdes
Dans les feuillages du ciel.
Quand il vit la femme
Au visage clair
Il eut faim, très faim.
Il caressa les courbes de la nudité
Et l’appela « Écriture »
Petite histoire
Des mèches lumineuses
Se subdivisent au front.
La face changeante
Dans l’exaltation
Dans l’ombre des cœurs meurtris
Et dans la renaissance du verbe.
Les sourcils
Pareils à des prédateurs nocturnes
Sous les blancheurs des lunes
Et les paupières rêveuses
Entrebâillées par les cils du souffle.
Il respire l’instant de ses narines singulières
Semblable à une bête
Couverte de sueur et de poussière.
Sa bouche se libère
Insufflant l’esprit
Aux arbres incurvés
Aux pierres érodées
Et aux doigts créateurs.
Un foulard d’embruns
Et de cumulus
Tissé par les ondoiements du sel
Affiche son cou.
Des cohortes de plumes crient sa fougue
Dans le tournoiement des ailes.
Et les plaques écumeuses de la mer
Implorent les îles
Les rivages de la quiétude
Contre les tempes des rochers.
Revoici le vent
Sur cette petite sphère
Noyée dans un océan d’étoiles.
Revoici le vent
Sans visage et sans âge
Qui offrit des corbeilles de fruits
Aux bottes des dieux.
Il siffle sous les portes
Frappe les fenêtres.
Et les coquillages vides
Pleurent les vergers de l’enfance ;
Les oreilles attentives
Qui se posaient sur les antres.
La poitrine poudrière
Tant de fois modelée
Dans le flux du temps.
Tel un scorpion
Sous le roc du ciel
Subrepticement
Il sort de son refuge
Jusqu’aux jambes de la nudité
Il s’immisce dans les mémoires
Et dans les désirs enfouis.
Ses membres serpentent
Dans les ruelles de la vie
Où s’attablent les regrets
Les bonheurs fugaces
Et les abcès crevés.
Au loin
Dans le tumulte des flots
Malgré la soif des bateaux
Et l’entrave des filets
Les mammifères chantent
Ses prairies.
Revoici le vent
Sur cette petite sphère
Noyée dans un océan d’étoiles.
Revoici le vent
Impalpable
Avec ses masques inachevés.
Le vent
Qui viendra se perdre dans les méandres
Du silence
Aussi, tel un rituel séculaire
Sur le cuir des mortels.
Des mèches lumineuses
Se subdivisent au front.
Des syllabes s’envolent
De ses lèvres démesurées.
Revoici le vent
Au-dessus des dunes
Et des déserts de sable.
Le vent
Il ne fallait pas croire tout ce que l’on disait dans les îles.
Tu n’avais pas un corps d’oiseau
Ni des griffes acérées
Et ton chant n’attirait pas les marins vers les récifs.
Tu n’avais pas une longue queue de poisson
Ni un visage hideux
Ni un gîte au fond d’un gouffre salé.
Tu étais une femme avec des courbes voluptueuses.
Ta chevelure ambrée dans le feu changeant du soleil
Et tes yeux avec des trésors enfouis.
Tu avais les seins fermes
Toujours offerts aux mains des vagues
Et nos deux corps s’élançaient dans les ondes ;
Nous nagions au loin.
Tu le savais
Que les hommes vivaient dans des flaques boueuses
Suintant la suffisance et la laideur.
Tu le savais
Que je reviendrais toujours vers toi
Comme un amant fou.
Il ne fallait pas croire tout ce que l’on disait dans les îles.
Tu n’avais pas un corps d’oiseau
Ni des griffes acérées.
Tu étais une femme avec des courbes voluptueuses
Une femme fictive
Qui lâchait ses chiens de sable
Parmi les bosquets d’algues
Dans la verticalité d’une mer
Où s’ancraient les navires du rêve.
Tu le sais
Que les hommes vivent dans des flaques boueuses
Suintant l’avidité et l’ordure.
Tu le sais
Je reviendrai toujours vers toi
Comme un amant fou.
Nous nagerons au loin.
La sirène
Note de la revue VERSO ( Alain Wexler)