• PIERRE RIVE extraits livre Mélange

    PIERRE RIVE extraits livre Mélange

     

     

    Ce livre est  un ouvrage essentiellement axé sur l'humour.

      

                                                           Chère mémé,

     

     

    Je passe actuellement mes vacances à L’île aux Moines avec oncle Lucien. Tu le sais, ma mémé, j’aime beaucoup flâner au bord de la mer ; ramasser des coquillages et escalader les rochers. De plus, je viens d’avoir treize ans, mes épaules ont pris de l’envergure, et je peux nager à souhait. Je ne sais pas s’il y a eu des moines sur ce morceau de terre. Mais, comme dit oncle Lucien, s’il y a eu ce genre d’individus, ils devaient certainement se palucher, vu la viande qui rôtit à cette saison. Ce n’est pas toujours, que je comprends oncle Lucien. A mon avis, il a dû trifouiller dans les hiéroglyphes ou il a dû faire du latin quand il était apprenti charcutier chez la grosse Simone. La maison que nous avons louée est vraiment charmante.  Elle jouxte un bosquet de pins maritimes, et ma chambre se trouve juste en face de la plage. Quand j’ouvre les volets : un spectacle merveilleux. Outre le chant de la mer, il y a plein de jeunes filles qui marchent sur le sable avec de jolies petites ficelles entre les joues du bas du dos. Et, quand je respire à pleins poumons, ça sent bon la crevette. Comme dit le docteur à tante Ursule, l’air marin, c’est excellent pour la santé. Quant à Oncle Lucien, il passe toutes ses journées sur la terrasse avec ses jumelles. Il  dit que le flux, le reflux des marées et les voiles lui reposent l’esprit. Tu le sais, ma mémé, j’ai beaucoup d’estime pour oncle Lucien. En vérité, c’est un être passionnant. Il s’intéresse particulièrement à la faune marine.  Il me parle souvent de la moule. Il dit que c’est un mollusque très utile. A ce propos, quand je vais dans son appartement parisien, sur ses étagères, il y a énormément de cassettes vidéo concernant la vie de ce bivalve. Mais, pour l’instant, il m’interdit l’accès à sa bibliothèque. Ce n’est pas toujours, que je comprends Lulu. Pourtant, il faut quand même avouer une grande érudition dans ce personnage. Ce qui prouve, ma mémé, que l’on soit travelo ou charcutier, ce qui compte, c’est la curiosité. Un matin, avec les copains et les copines des environs, nous sommes allés faire une partie de cache-cache dans le bosquet de pins. C’est là que j’ai fait la connaissance de Louise. C’est une grande brune avec une queue de cheval. D’ailleurs, elle ressemble vraiment à un cheval. Il lui arrive de hennir avec sa grande bouche charnue. Et puis, elle a une façon de regarder… Louise a un an de plus que moi. Pourtant, il y a déjà de la femme. On voit de gros tétons qui pointent sous sa chemise. Donc, nous étions à la partie de cache-cache, quand elle m’a bousculé derrière un buisson. Tu ne vas pas me croire, ma mémé. Louise s’est allongée ; elle a plongé ses yeux de strige dans les miens ; elle m’a pris la main et l’a mise sous sa jupe. A ce moment précis, ma mémé, j’ai senti un raz de marée envahir mon calcif.

    C’est avec lenteur que j’ai pris le chemin du retour. J’ai marché les jambes arquées. J’avais les boules qui avaient doublé de volume. Au loin, j’ai vu oncle Lucien, et il m’a crié : « Viens petit ! On va à la pêche aux moules ! »                                 

     

     Ah ! Les joies des vacances !

     

     Je t’embrasse très fort ma mémé

     

     Sur les joues…

     Sur les joues…

     Sur les joues… du haut.

     

     

                                                   Ton Bébert.

     

     Chère Rose, 

     

    Je ne savais plus quoi penser de notre dernière rencontre. Il y avait tellement de sensualités dans vos gestes et sur votre visage. J’ai eu l’impression d’avoir passé ma vie à ramer dans un océan de pauvreté. C’est pourquoi, depuis peu de temps, j’ai investi dans un aéroplane. Cela afin, de survoler ma triste personnalité, de pouvoir vous approcher sans ressentir cette affreuse pesanteur qui déstabilisait mon armure et dégradait mes articulations. J’avais beau mettre de l’huile, à chaque fois que je vous apercevais – vous, si belle et si fragile – j’avais le palpitant qui commençait à rouiller, la langue chargée, les amygdales grosses comme des roupettes, et la salive figée.

     

    Le jour fatidique où nous avons décidé de nous rencontrer pour une sérieuse conversation sur notre devenir, vous m’attendiez dans une jolie prairie fleurie. Alors, vous m’avez vu arriver tel un aigle royal. Mon zinc dessinait de grands cercles dans l’azur, et un vent douceâtre soulevait votre robe, laissant apercevoir votre superbe calbut à rayures vertes. Le preux chevalier du ciel faisait des acrobaties, tandis que vous restiez la bouche ouverte, émerveillée. Vous aviez toujours cet éblouissement dans la mâchoire, lorsque je décidai d’atterrir sur des tapis de pâquerettes. Mon aile gauche a emporté votre dentition, et c’est à ce moment-là que je me suis aperçu que mes freins ne fonctionnaient plus. Ma belle Rose, je fus complètement désemparé lorsque mon appareil est allé se cogner avec fracas contre un bosquet de peupliers. Avec le choc, je me suis mordu la langue, et un morceau de viande est venu se plaquer sur le tableau de bord. Depuis ce temps-là, nous ne nous parlons plus. 

     

     Et je peux vous affirmer que c’est bien dommage !

     

     

                                                                               

     

     

     PIERRE RIVE extraits livre Mélange 

     

     

     

    Note de la revue VERSO (Alain Wexler)