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Illustration de l'auteur.
Ce livre alterne poésie et narrations.
Il faisait chaud sur le parking. J’ai toujours aimé la chaleur. Habiter au Brésil parmi les femmes qui se trémoussent ou dans un petit village de pêcheurs entre les murs blancs de la Grèce, cela me serait très agréable. Certes, l’image du Brésil est un leurre : la profusion de la misère, la pollution de la baie de Rio… Certes, les statues qui ont bercé de légendes ont tendance à s’enliser dans les marécages de nos soirées coutumières. Cependant, retrouver le geste essentiel, raccommoder les filets, manger à sa juste faim, boire le sang du crépuscule, me serait vraiment très agréable.
Mais, j’étais garé devant ce parc dans une ville pieuvre dont les ventouses happaient avec avidité les campagnes environnantes. Pourtant, des branches lourdes traversaient les grilles impunément avec des dégradés de vert. Dans la chevelure des arbres murmurait déjà un monde nouveau. On aurait dit que la nature voulait retrouver ses droits sur le bitume. Le parking était désert ou presque, un chien urinait devant une cabine téléphonique en péril. C’était l’heure de midi, et je m’apprêtai à faire fondre la graisse de la quarantaine.
J’avais mis mes chaussures de sport, et j’étais en train de verrouiller ma vieille carrosserie, lorsqu’une voiture est venue se ranger juste à coté de la mienne. Effectivement, sur un parking désert, venir s’aligner à cet endroit me parut bien étrange. Enfin ! Il y a plus étrange ! J’ai donc jeté un coup d’œil sur le conducteur, je ne voyais pas grand chose avec les reflets que faisait le soleil. Je me suis accroupi pour serrer mes lacets. La vitre s’est baissée, laissant apparaître un visage féminin.
La femme souriait. Dingue ! Une femme qui se mettait à sourire ! Il est possible que ce soit un phénomène de société, je trouve que les femmes sont de moins en moins souriantes : le stress, le travail, la compétition, les embouteillages, le sida, l’équilibre amoureux, la mignonne abandonnée avec son rejeton, la donzelle qui cherche le prince charmant à chaque coin de rue, le boutonneux qui pique sa crise… La libération des mœurs n’a pas arboré que de bonnes choses. Non seulement elle souriait, il faisait beau. Je n’ai jamais eu la moindre aversion envers les gens de couleur : elle était noire, et son faciès était racé.
Il y avait quelque chose de risible. Je me trouvais avec mon short et mes jambes pleines de poils en face d’une black qui laissait glisser sur son nez des lunettes avec montures dorées. Le rouge vif qu’elle portait aux lèvres ne contrastait pas vraiment. Cependant, dans le blanc de ses yeux, on pouvait s’y perdre, assurément.
Le besoin de séduire qui m’avait tenu la main pendant des années avec fougue ne faisait plus partie de mes rituels. Cependant, faire un brin de causette n’était pas interdit. Je me suis accoudé à sa portière, comme on s’accoude sur le muret du voisin pour lui parler des légumes ou des fleurs de son jardin. Il y avait un livre sur le tableau de bord. Je lui ai demandé si elle aimait la littérature. Elle m’a montré la couverture de l’ouvrage : c’était une collection à l’eau de rose. Tous les goûts sont dans la nature, pour ma part, l’eau de vie et l’eau de rose… L’écriture n’est pas uniquement ce nid où les chenilles sortent à la file indienne comme des majorettes sous un ciel merveilleux.
Je décidai de changer de conversation… tout en parlant, je remarquai une jolie paire de seins dont le grain ressemblait à celui d’une peau d’orange. Les fruits semblaient vouloir éclater l'enveloppe. La vie d’un homme n’est pas toujours facile à gérer à ces moments-là. D’autant plus que ses jambes laissaient deviner des festins. Je lui aurais bien fait un petit sur la banquette arrière, afin que notre progéniture éphémère aille crier le feu dans les feuillages de ce parc. Nous étions sous le soleil, j’avais le vent du désir, au cœur d’une ville où subsistait un refuge. Peut-être était-elle venue de sa hutte en terre pour voir l’homme blanc avec du poil aux pattes ?
Tout à coup, elle m’a proposé une partie de joyeuses à l’hôtel. Tiens ! Une prostituée ! Marrant ! J’avais pensé à une secrétaire, une vendeuse, une avocate, un flic, un cadre dynamique, une féministe, une pédagogue de la poésie… La prostituée, ce genre de métier m’était complètement sorti de la tête. C’était donc un sourire commercial. Je ne lui ai pas demandé si elle faisait cela librement ou si son lascar venait relever les compteurs à chaque fin de semaine. En tout cas, c’était une très belle femme, et l’idée qu’elle était venue à ma rencontre acculée par la nécessité me faisait froid dans le dos. L’union de l’Europe est un vrai tas de pus, je ne parlerai pas du restant…
J’ai connu une fille qui faisait le même travail quand j’étais dans le sud du Maroc – il y a des années. On habitait sur le même palier, ce fut un pur hasard. Elle s’appelait Fatima, on fumait souvent ensemble le narguilé et on buvait le thé à la menthe. De temps en temps, elle m’invitait à ses réceptions mondaines : dans la salle qui lui servait de chambre à coucher, elle préparait le couscous. Puis, arrivait un client potentiel ; elle s’installait sur ses coussins et commençait son cinéma avec des gestes de divinité du sable. Quand les choses devenaient concluantes, je me dérobais avec le sourire. Les soirs où elle avait le cafard, elle venait frapper à ma porte. Nous étions devenus amis.
Ce n’était pas une femme d’une beauté extraordinaire, mais de son visage émanait un charme certain. Elle était grassouillette, un peu moins que les baigneuses de Renoir – tout de même. Mais, sa chair était rassurante. Dans la cour intérieure qui était commune à nos deux paliers, les mosaïques tapissaient les murs. Au milieu de la cour, il y avait le néant. Et, au milieu du néant, il y avait Fatima qui accomplissait la danse du ventre pour mon plaisir. De voir se tortiller ce corps me rendait fou, j’aurais bien fait mon habitat dans son nombril pour l’éternité. A ce moment, nous redevenions des enfants, moi qui fuyais les rouages de l’occident. Elle, la prostituée qui s’offrait en pâture aux conquérants.
Un matin, je suis parti sur la pointe des pieds. Je n’ai pas eu le courage de lui dire… depuis, j’ai souvent regretté.
J’ai enlevé mon coude du comptoir de la black.
J’ai couru longtemps.
Parking
Des belles-de-nuit ! Certainement une bonne valise de souvenirs. Des belles et des moins belles. Des jeunes et des moins jeunes. Des brunes, des blondes, des rousses… Des rondes ou effilées. Je n’en tire aucune gloriole. Néanmoins, cela a fait partie de ma vie pendant des années, et c’est un fait. Ce que l’on appelle le donjuanisme n’est pas toujours empreint à la négation. Car un adolescent pusillanime peut y trouver un véritable épanouissement. À condition, bien sûr, de se conduire avec tact. Je me souviens de cette nuit où Daniel m’a déposé avec sa 2cv dans un petit village. Il m’a souvent dépanné lorsque j’avais rencard avec une gracieuse. Daniel était un blondinet lymphatique qui avait toujours aux lèvres un mégot qu’il mâchait comme un bambin, une tétine. Je l’ai vu rarement s’énerver. Sauf le jour où l’on s’est réveillés, la langue pâteuse, dans un fossé avec la fameuse 2cv. Le blondinet est entré dans une colère ! Il est sorti de la charrette en postillonnant, brassant les nuages et invectivant le ciel… Et puis, toujours sous le joug du courroux, il a ouvert le coffre de son bolide et a sifflé cul sec la moitié d’une bouteille de whisky qui restait à traînailler… Ce geste m’a toujours étonné. Avec le recul, je pense que c’était digne d’un grand de ce monde – n’est-il pas ? ! Sacré Daniel ! À cette époque, il n’y avait pas de contrôle technique, et sa voiture était un vrai tas de boue. On pouvait y voir à travers le plancher ; il y avait plein de cadavres de flacons qui roulaient à chaque virage. J’entends encore cette douce musique… Pareillement, le téléphone portable n’existait pas. Et, c’était une angoisse permanente pour converser, d’autant plus qu’il y avait quatre parois vitrées, il suffisait de trouver la bonne… ! Dans le petit village, j’ai marché tranquillement comme un oiseau lunaire qui cernait sa proie. J’ai fait le tour de l’agglomération parmi les maisons aux paupières mortes. J’ai toujours aimé la nuit et ce silence intense qui vous pénètre les veines. Avec dans les ruelles de la tête tous les rêves à venir. Je lui avais dit deux heures du matin. Je l’avais rencontrée la semaine précédente à une soirée. Dans les soirées, c’est toujours d’actualité, on parle de tout et l'on parle de rien. Mais, la seule chose que j’avais remarquée, c’était la beauté de son visage. Je lui avais dit deux heures du matin, car elle habitait une maison en pierre au fond d’un jardin. Sa chambre se trouvait au premier étage, et ses parents dormaient au rez-de-chaussée. Les géniteurs gardaient précieusement la jeune femme entre quatre murs avec une vanité excessive. J’avais entrepris d’escalader par la gouttière, cela afin de pouvoir accéder à l’oreiller percé de la mignonne. Je ne savais pas pourquoi, mais à chaque fois que j’entreprenais ce genre d’ascension, j’avais des ailes qui me poussaient dans le dos. Était-ce mes trois ans de gymnastique au club de… ? La chevrière en question était une fine fleur de la faune française. Une jolie brune, la chevelure ondulée, un fessier à vous faire perdre votre nom, un grain de beauté au-dessus de la lèvre supérieure et un autre sur le sein gauche.
Une histoire à vous rendre gâteux !!
J’étais presque rendu au bout de mon escalade, lorsque la gouttière s’est soudainement descellée de la pierre. J’ai atterri avec force sur la serre à laitue de ces braves jardiniers. Il est bien évident que cette mésaventure a réveillé tous les chiens du quartier, et les volets du plain-pied ont crié :
Au voleur ! Au voleur ! Au voleur !
Le temps de me planquer derrière la haie d’une maison avoisinante.
J’ai vu les gyrophares clignoter.
Un scintillement absurde.
Un voleur d’amour sans butin.
Belles-de-nuit
Revue Inédit nouveau n° 222 ( Paul Van Melle)
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Livres - Écritures poétiques (1994 - 2004)
Ils nous ont dit
Que dans le bataillon
La dissension n’existait pas.
Ils nous ont dit
Que le jeu était bien organisé
Que les brancards nous suivraient de près.
Ils nous ont dit
Qu’il fallait être sans pitié
Que l’éthique se trouvait dans la poudre.
Et
Grande subtilité de la guerre
Ils nous ont dit
Qu’il était interdit de torturer
Que les sages feraient l’arbitrage.
Quand le fleuve de sang fut en crue
Ils nous ont dit
Qu’il fallait nager
Bien respirer
Se méfier des tourbillons.
Ils nous ont dit
Que bientôt
Les îles de la victoire apparaîtraient
Que bientôt
Dans les fanfares de la gloire
Les rats de la douleur et de l’angoisse
Ne rongeraient plus nos nuits.
La Guerre
Torero
Te voici de nouveau dans l’arène de la nuit.
Le rouge de ton cœur attise
Le taureau de l’esprit.
Toutes ces phrases
Que tu as murmurées
Reviennent dans la poussière du combat
Comme des rayons lumineux.
Torero
Ton linceul en lambeaux
Habille les hanches de la vie.
Une flamme danse
Dans ton regard.
Le taureau charge :
Les mots se bousculent.
Le taureau s’échine :
La musique est là.
Torero
Tu as mis fin
Aux gémissements de la bête.
La guitare des sentiments résonne encore
Entre tes doigts lunaires.
C’est la fête.
Tu bois le vin.
Le Torero
Il secoue sa crinière :
Des poux de lumière tombent à terre.
Ses griffent lacèrent le cuir de l’existence.
Ses crocs mordent la chair du vent.
La gueule en sang
Il se lèche les babines.
Ses rugissements se perdent avec l’aurore.
Repu
Il se couche dans la poussière
Les yeux brûlés
Par
Les étoiles.
Le Lion
Nous sommes habitués aux lumières factices :
La fée Electricité est devenue
Notre quotidien.
En effet
Il suffit d’appuyer sur un bouton
Pour que la magie s’opère :
Lampes
Ecrans
Machines à rêver
Machines à envier
Machines…
Nous
- pays de la richesse et de la sublimation -
Maintenant, nous respirons par le clavier :
Voici la bête informatique
La puce de cirque
La panacée.
Tout se programme :
Les fantasmes
Les loisirs
Le business.
Nous transigeons et strangulons
A une vitesse vertigineuse.
Cependant
Le geste est devenu infirme :
Nous sommes condamnés
Avec nos lunettes mirifiques
Enfoncées jusqu’aux orbites
Et nos éprouvettes
Dans les bassins des dieux.
Le monde est un yo-yo
Entre des mains capricieuses.
Avec l'image qui prime sur le sens
Avec la vanité qui tue les causes
Ils nous transmettent l’information.
Puis
Pour nous faire oublier les nouvelles insidieuses
Ils nous ont inventé le grand jeu populaire
Avec ses gazelles
Ses ballons de baudruche
Ses réponses à suspense.
Bref !
Tout va bien !
La fée est vraiment généreuse.
Quand vient la fin d’année
Nous buvons ses soupes à sortilège :
Ses baves de crapauds fluorescentes
Ses vers luisants.
Nous regardons les serpents qui s’enroulent
Autour des arbres divins.
Et même
Même si nous sommes affligés
Même si l’overdose est là
Il ne faut surtout pas le montrer.
Nous marchons
Nos paupières changent de couleur
Sous les enseignes lumineuses.
Pauvres caméléons !
Quand ?
Quand retrouverons-nous
La feuille blanche de l’intégrité ?
Nous marchons
Sur les tapis rouges des avenues
Avec les plumes de la suffisance
Qui nous souhaitent JOYEUSES FETES.
Alors que
La nuit tombait
Et que rayonnaient des milliers d’écrans.
Alors que
Sous les réverbères
Des bandes de jeunes loups
Mâchaient des fantasmes.
Panne !
Panne d’électricité !
La baguette magique est tombée
Dans la gueule immense
De l'obscurité.
Certaines personnes réagissent très mal
A ce genre d'imprévu.
Ils vont dans tous les sens
Comme des animaux de basse-cour
Privés de leur bectance.
Parce que l’essentiel n’est plus
Ils s’énervent
Se bousculent
S’invectivent.
Le manque se fait pressant :
La veine réclame.
En écoutant le remue-ménage
En riant de ces pas confus dans les couloirs
En tâtonnant les tiroirs
J’ai sorti une bougie.
En tenant cet objet
J’ai pensé à ces rats des villes
Qui masquent nos visages
A ces paradis précaires
Qui se glissent entre l’encre et le papier.
J’ai pensé à toutes ces besognes
Qui nous saignent
Et qui se tiennent la main
Loin des murs blancs
Loin des vignes de la nuit
Loin des pierres du silence.
J’ai allumé la mèche.
D’abord froide et insignifiante
La flamme a déchiré le noir.
Puis
Attisée par le vent de la fenêtre
Elle s’est mise à lécher l’espace.
Le rêve a dansé
Parmi les ombres et les lumières.
La bougie s’est consumée.
La bougie
Que ma main avait allumée
Le temps d’une trêve.
La bougie
Ton cœur battait si fort
Quand tu étais nu
Dans les buissons du silence.
Ton cœur battait si fort
Quand ta bouche a mordu
La clarté de son sourire.
Les embruns étaient sur ton visage
Pour te rappeler le souffle.
Les guerriers de l’habitude
Avaient les yeux inertes :
Ils baignaient dans leur sang ;
Un rêve assassin les avait pris pour cible.
Des enfants déchiraient la toile du ciel
Avec des rires incessants.
Le vent prenait de l’ampleur
Et l’encre aventureuse hissait sa voile.
Ton cœur battait si fort
Quand tu étais nu
Et que ta main a soulevé
Sa robe.
Pourtant
Elle n’était pas faite
De
Chair.
Buissons
Ensemencée d’étoiles
Elle répand sur le sable
Des paroles
Des fragments
Des sourires lointains.
Tantôt langoureuse
Semblable à une gitane
Sur un banc de coquillages
Ses doigts caressent
Les cordes du vent.
Tantôt échevelée
La sueur perle son visage.
Elle frappe sur les batteries ;
Les embruns se perdent ou se captent
Avec les cris des oiseaux palmipèdes.
Aux lunes pleines
Se tissent les toiles.
Les araignées du rêve
Sortent de leur ventre
Des fils d’encre.
Elle déserte les rivages
Dévoilant ses jambes ruisselantes
Son sexe de goémon.
Le ciel écarte les nuages
Se rince l’œil.
Ou
Elle redouble de vigueur ;
Lâche ses chevaux d’écume
Qui se cabrent, se ruent
Creusent les roches.
Dans les ressacs
La dompteuse exhorte les crinières.
Vêtue de brume
On entend les rames des chaloupes.
On devine les barbes
Les boucliers
Les cornes sur les casques
Les plissures des fronts.
De temps en temps une lumière :
Une épée brandit sa lame
Et déchire le rideau opaque.
C’est la langue du sel
Qui crie parmi les cordages ;
Le loup marin
Qui arrache sa pelure.
Le souffle
Enivre les narines de la création.
Son pollen féconde
Le chant des voiles
Et les îles.
La pluie se perd dans l’amplitude.
Mais
Quand les yeux noirs iodés
Deviennent transparents
Autour de son cou
La belle porte des bijoux étincelants.
La poitrine épanouie
Elle se balance de liane en liane
Dans les forêts d’algues
Appelant les fauves
Et les troupeaux d’éléphants.
Après le ralliement
Le bruit de frottement
Qui persiste
N’est rien d’autre qu’une plume
Qui griffe le papier.
Propagée de soleil
Son corps transmuable
Arbore
Des bleus, des verts, des jaunes, des rouges.
Mais jamais !
Jamais !
Les arbres ne perdent leurs feuilles.
LA MER